Par Jacques Meyniel
Le monument aux morts de Laveissière, dont le projet a été dressé par Mr Jean Delpirou, architecte à Murat, a été validé par le conseil municipal par une délibération du 21 juillet 1921 : « décide, pour rendre un digne hommage à la mémoire des enfants de la commune morts pour la patrie, d'ériger sur la place du cimetière, le monument présenté par Mr Delpirou dont il accepte le projet et le devis. » |
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L'histoire des Monuments aux Morts |
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Apparus après la guerre de 1870-1871, les monuments aux morts ont été élevés dans leur grande majorité à la suite de la guerre de 1914-1918 ; les noms des "Morts pour la France" des conflits postérieurs y étant alors simplement ajoutés. Ces monuments sont de nos jours souvent méconnus. Ils demeurent pourtant à plusieurs titres des témoins historiques, qu'il s'agisse de l'histoire des mentalités, de l'histoire de l'art, de l'histoire de la commune tout simplement : les noms gravés traduisent le poids des guerres sur la vie locale quand ils ne sont pas aujourd'hui la seule trace de certaines familles. Si quelques dizaines de monuments du souvenir avaient été érigés à la gloire de la Grande Armée ou en mémoire des combattants anonymes de la débâcle de 1870, l’hommage aux soldats disparus change de nature et de dimension avec l’apparition des monuments aux morts, tels qu’on les connaît, à la fin de la Grande Guerre (1914-1918). Pour la première fois, en effet, on « nomme » les victimes : on leur accorde ainsi une identité propre de soldat et d’homme, c’est-à-dire qu’on affirme à la fois la personnalisation de chaque sacrifice et la solidarité de tous les citoyens-soldats. Ces longues listes de noms gravées sur la pierre des monuments portent cette dualité mémorielle : l’identification exhaustive, individuelle et nominative de chaque mort au combat et, parallèlement, une commémoration collective du conflit, via le symbole de la liste, de l’énumération. |
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Dans la Grèce antique, un cénotaphe (κενοτάιον : kenos « vide » et taphos « tombe ») était un monument érigé à la mémoire d'une personne mais qui ne contenait pas de corps. Les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 sont de ce fait des « néo-cénotaphes ». Ils opèrent un « découplement » de la mémoire du défunt. Sa commune natale, celle où il était citoyen, homme, père ou fils, le célèbre par son nom, par son identité de personne. Son corps, celui du soldat mort au combat, reste, quant à lui, parfois non identifié, dans les charniers des champs de bataille. L’existence des monuments aux morts nominatifs résulte aussi d’une contrainte technique très importante : l’identification, l’acheminement et le listage des corps était impossible à la fin de la guerre. Ces monuments ont donc remplacé les cimetières. |
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DONNER UN « SENS » À LA MORT DE 1,3 MILLION D'HOMMES Mais pas seulement. Face à la tragédie de la Grande Guerre et aux millions de vies qu’elle fauche sur son passage, une demande mémorielle naît assez tôt en France, dès la moitié du conflit. Pour y répondre, la loi du 27 avril 1916 prévoit la création d’un diplôme d’honneur des militaires morts pour la patrie, celle du 25 octobre 1919 lance le recensement des disparus de chaque commune de France. Le monument aux morts est avant tout une tentative de donner un « sens » à la mort de 1,3 million de jeunes hommes sur le champ de bataille. Un sens qui ne peut se trouver que dans la « passion de la patrie », selon l’expression de l’historienne Annette Becker. Tous ces morts doivent bien être tombés « pour » quelque chose… Et ce quelque chose, c’est la France. |
L’idée est d’ériger tous ces morts en martyrs héroïquement sacrifiés pour la nation. Le statut de « mort pour la France » est introduit par la loi dès 1915. Son attribution a une grande importance pour la famille du disparu : elle ouvre droit aux pensions pour les veuves et au statut de pupilles de la nation pour les orphelins. Ladite mention est inscrite sur la grande majorité des monuments aux morts. Si la formule la plus classique est bien sûr « la commune de X. à ses enfants morts pour la France », on en trouve des variantes multiples, comme « morts pour la patrie » (dans de très nombreuses communes) ou « morts pour la défense du pays » (à Affieux, en Corrèze, par exemple). Des formes plus neutres de glorification du courage existent aussi : « aux martyrs, aux vaillants, aux forts ! » (à Vaison-la-Romaine dans le Vaucluse) ou, quand le conseil municipal d’après guerre était quelque peu érudit, des formules plus élaborées : « pauvres martyrs obscurs, humbles héros d’une heure / Je vous salue, et je vous pleure » (à Barjols, dans le Var). La fonction majeure du monument aux morts est donc, répétons-le, de combler l’abyssal vide de sens de l’après-guerre dans un pays où la jeunesse a été fauchée. Seules 12 communes françaises sur 36 000 ne comptent pas de victimes de la Grande Guerre... La puissance mémorielle du monument aux morts tient aussi à sa capacité à occuper l’espace, à déployer une mémoire tentaculaire en France. De 1918 à 1925, 30 000 monuments sont construits. Entre 1919 et 1922, on compte en moyenne trois inaugurations par jour. Les anciens combattants, qui représentent 90 % des hommes adultes dans les années 1920 supervisent les opérations. Par la loi du 25 octobre 1919, l’État propose des subventions, établies en fonction du nombre de morts dans la commune et des ressources de celle-ci, à toutes les municipalités désireuses de se doter d’un monument aux morts. Un véritable maillage mémoriel est rendu possible sur tout le territoire français : la mémoire se rappelle désormais quotidiennement, via ces monuments, aux yeux de chaque Français. L’implantation du monument dans l’espace de la commune fait, au début, l’objet des plus vifs débats dans les conseils municipaux. Où construire ce monument ? Dans le cimetière ? |
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En Bretagne, où la force du catholicisme est intacte, c’est souvent l’option retenue : on transforme parfois des vieux calvaires en monuments aux morts. Ailleurs, les débats sont plus houleux. Faut-il dresser le monument dans un lieu public, pour que le devoir de mémoire s’impose à la vue du passant, ou dans un endroit plus reculé, plus propice au recueillement ? Doit-on préférer l’espace de la religion (près de l’église du village) ou celui de la République (mairie, école) ? Dans la majorité des villages, heureusement, l’église et la mairie partagent la même place centrale. C’est donc dans cet espace central qu’on érige le plus souvent le monument. En réalité, comme l’explique Serge Barcellini, conseiller mémoriel de M. Arif, secrétaire d’État aux anciens combattants, « le monument aux morts est un élément dont l’emplacement est souvent le résultat de la rencontre entre les contraintes de l’urbanisme, la culture locale et les aspirations politiques de la municipalité en place ».
ENJEU DU RAPPORT DE FORCE ENTRE LA RÉPUBLIQUE ET L'ÉGLISE L’implantation des monuments aux morts sur tout le territoire français intervient, rappelons-le, quinze ans à peine après la loi de séparation de l’Église et de l’État (1905). Le rapport de force entre la République et l’Église est omniprésent dans l’histoire mémorielle de la Grande Guerre. Par la loi de finances de 1920, l’État subventionne la construction des cénotaphes… à condition qu’ils ne se rattachent à aucun culte (l’État ne les reconnaît plus). Pour contourner la loi, beaucoup de villages dissimulent les symboles religieux derrière des ornements cruciformes (épées, croix de guerre). Dans la majorité des communes, deux monuments aux morts ont été érigés : l’un dans l’espace public (place du village, mairie, école) et l’autre dans l’église (ce dernier recense les paroissiens tombés au combat). Il n’y pas qu’un type de monument aux morts, loin de là. L’historien Antoine Prost a distingué quatre familles.
Cela dit, une ambiguïté persiste sur le message que portent les monuments aux morts : sont-ils pacifistes ou, au contraire, bellicistes ? Dans certaines communes, comme à Equeurdreville dans la Manche ou à Gentioux dans la Creuse, le monument est ouvertement pacifiste : surmonté d’une statue représentant une veuve éplorée avec ses deux enfants dans les bras, on peut y lire : « que maudite soit la guerre ». D’autres, plus nombreux, transmettent des messages véhéments, en insistant notamment sur la victoire française : des poilus en armes y sont parfois représentés, certains grenade à la main, d’autres fauchés par une rafale ennemie continuant à porter le drapeau de la patrie jusqu’à leur dernier souffle. Entre le culte de la patrie et la perpétuation de la haine de l’ennemi d’hier, la frontière est ténue. Pendant l’entre-deux-guerres, ces deux versants mémoriels ont été au cœur des commémorations du 11 Novembre. En 1923, par exemple, dans certaines villes de France, des cortèges d’anciens combattants se heurtent à des contre-manifestations organisées par des groupes communistes qui répondent à La Marseillaise par le chant de L’Internationale et le cri d'« à bas la guerre ». L’histoire des monuments aux morts de la Grande Guerre, outils mémoriels d’une puissance sans précédent, nous apprend beaucoup sur la France de l’entre-deux-guerres, ses tensions politiques, ses contradictions territoriales, ses ambiguïtés mais aussi ses forces. |
Plaque située à l'intérieur de l'église Saint Louis de Laveissière DIEU PATRIE |
Elle nous rappelle surtout qu’hier comme aujourd’hui la communauté nationale est une construction politique et que la mémoire en est l’un des piliers fondamentaux. |
“Monument aux Morts 1914 - 1919″ |
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La signature du traité de Versailles dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le 28 juin 1919.
Au milieu, Clemenceau (avec une moustache blanche)
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Le monument aux morts de notre commune (et il n’est pas le seul en France) présente une particularité qui n’échappe pas à tout observateur averti. En effet, aux pieds du Poilu figure la mention : 1914-1919. Communément, l’on parle de la guerre 14-18, alors pourquoi 1919 ? Trois hypothèses :
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Le front d'Orient : 1915 - 1919 |
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Découvrez l’histoire d’une guerre, l’histoire d’oubliés, d’ignorés, l’histoire d’hommes morts loin de chez eux, pour leur patrie. Si le front occidental fut le front principal de la Première Guerre mondiale, où les soldats immobilisés dans la boue des tranchées se sont affrontés durant quatre longues années, il y eut en d'autres lieux de durs combats. Le front des Balkans (Yougoslavie - Albanie - Bulgarie - Empire ottoman) fait partie de ces théâtres d'opérations périphériques dont l'importance, souvent minimisée, n'en a pas moins été réelle. En 1916, l’Armée Française d’Orient (AFO) a combattu aux côtés des Armées Alliées d’Orient (AAO) regroupant les armées Britanniques, Serbes, Italiennes, Russes et Grecques, aux ordres du général d’armée Louis Franchet d'Esperey. Des milliers de soldats, notamment français, sont ainsi envoyés par bateau sur ces fronts… Ils provoquent la défaite de la Bulgarie, reconquièrent la Serbie et la Roumanie, puis envahissent l’Autriche-Hongrie. Par un paradoxe dont l’histoire est coutumière, les opérations dites d’Orient se déroulent géographiquement en Europe, si l’on excepte le débarquement de la brigade Rueff en Turquie d’Asie durant quelques jours seulement. Cette campagne revêt à la fois le caractère d’une guerre européenne par la puissance des belligérants, leur organisation et leur armement, et celui d’une expédition coloniale en raison de la présence de partisans, de maladies exotiques, de l’éloignement, mais aussi bien sûr, parce que les combats se déroulent le plus souvent en terrain libre. Près de 300 000 soldats français, dont plus de 50 000 ne sont jamais revenus, ont combattu sur ces terres balkaniques où ils ont vécu une fraternité d'arme avec leurs alliés serbes. Ceux que Clemenceau avaient appelés avec mépris "les jardiniers de Salonique", leur reprochant longtemps leur inaction, poursuivent la guerre cinq mois de plus que leurs camarades, postés en Roumanie et tenant le front sud de la Russie contre les bolcheviques. Ce n'est qu'en mars 1919 que les poilus d'Orient sont rembarqués d'Odessa avec le sentiment d'avoir injustement été les oubliés de la Grande Guerre. |
Troupes Françaises à bord du Provence en route vers Odessa
Campement Français à Salonique |
Cimetière Français en Macèdoine où reposent 6200 poilus |
Les rescapés, qui ont combattu loin de leur terre natale, dans des conditions extrêmement dures souffriront pour le reste de leur vie du manque de reconnaissance de la nation, car les opérations excentrées auxquelles ils ont participé restent pour le plus grand nombre inconnues, au mieux marginales. La victoire de Macédoine qui amène la Bulgarie puis la Turquie à cesser le combat, disparaît de la mémoire collective qui ne retient que la date du 11 novembre 1918. Finalement, l’histoire de l’armée d’Orient n’est qu’une suite de revers militaires, heureusement clôturés par une offensive décisive. Mais c’est peut-être justement parce que les échecs ont duré si longtemps et ont été si nombreux pendant trois ans, que la victoire intervenue en quelques semaines n’a pas été appréciée à sa juste valeur comme étant à l’origine de la chute des Empires centraux... |
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